L’édito de Charles Claudo
Pour le 4ème anniversaire de la fondation de Remontons la Roya (à Libre, le 9 novembre 2020), l’actualité résonne bien tristement. Au moment de la rédaction de cet édito, les chaînes d’information mettent régulièrement à jour le bilan implacable des inondations de Valence en Espagne. Elles diffusent des images qui ne peuvent nous laisser insensibles, nous qui avons aussi fait l’expérience de la tempête. Pour nous, comme pour beaucoup d’autres, les mots « impacts du changement climatique » sont désormais une réalité.
Depuis 4 ans, cette réalité nous a conduit(e)s dans deux directions. L’une va dans la sens de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’autre, à tenter d’adapter notre vallée à de futurs évènements catastrophiques dont on ne sait pas quand ils se produiront, mais dont nous savons avec certitude qu’ils se produiront. Mais agiter l’épouvantail de la catastrophe à venir, jouer sur les peurs, ça ne fonctionne pas. La peur pousse à regarder ailleurs. C’est un réflexe de survie. Elle conduit au déni de ce qui peut arriver. Mais comme l’a dit Pablo Servigne à Saint-Dalmas au Printemps du Climat 2024 : la peur ça peut s’apprivoiser, ce qui permet de regarder le problème en face et sauver sa peau… Nous sommes tous un peu alpinistes et le savons bien.
Bifurcation
Des solutions existent. Elles supposent une bifurcation radicale de nos modes de produire, de se déplacer, de construire, de vivre ensemble. La Roya a beaucoup d’atouts pour réussir cette bifurcation, elle s’y est d’ailleurs déjà engagée. De nombreuses publications saluent sa « résilience » face à la catastrophe. Son premier atout, ce sont donc ses habitant(e)s : beaucoup, souvent moqué(e)s et décrié(e)s, avaient adopté depuis longtemps un mode de vie sobre et respectueux de la nature… Son second atout ce sont ses ressources patrimoniales, ses savoir-faire, sa biodiversité extraordinaire -vraiment- et encore préservée.
Ce n’est évidemment pas facile de se projeter dans un avenir « sobre », tant il est dans notre condition humaine occidentale que de vouloir toujours plus. Nous sommes néanmoins persuadés que cette sobriété peut être heureuse, comme le défendait le regretté Pierre Rabhi. Vivre en produisant et consommant localement le plus possible, en nous inspirant de ce que les anciens savaient faire, en choisissant des nouvelles solutions basées sur la nature, en prenant soin de nous et surtout des plus fragiles d’entre nous… c’est possible et enthousiasmant. C’est là que réside le sens que de ce que nous nous évertuons à faire dans Remontons la Roya.
Invisibles ?
Depuis 4 ans, l’engagement de nous tous et toutes pour « remonter la Roya » a changé nos vies. Nous avons appris beaucoup. Nous avons réussi des choses. Mais aussi parfois échoué. Nous nous sommes quelques fois engagé(e)s dans des impasses, mais aussi sur des chemins prometteurs. Après 4 ans, nous ne pouvons toujours pas nous-mêmes évaluer facilement l’impact de nos efforts « invisibles ».
Et pourtant, les quelques retours et reconnaissances que nous avons, nous disent que nous contribuons à aller vers l’objectif d’une vallée « durable et résiliente », les deux qualificatifs mis en exergue par les divers ateliers participatifs organisés par les acteurs du territoire et par nous-mêmes. Des « acteurs » locaux, régionaux ou nationaux nous qualifient à présent de « partenaires de confiance », nous consultent et nous demandent parfois un appui, en nous incluant dans leurs projets. De manière assez tangible, nous avons contribué de près ou de loin à la création de quelques dizaines d’emploi, et à l’arrivée dans la vallée de financements publics et privés de quelques centaines de milliers d’euros.
Complexité
Nous avons aussi dû apprendre le métier de « patrons » en tâtonnant encore… La pression sur nos épaules était devenue trop forte et nous avons nos familles, nos métiers, nos autres engagements. Les compétences requises pour assurer des tâches complexes demandaient un niveau de qualification pointu et surtout beaucoup de temps, un « travail de fourmi ». Nous n’avions pas nous-mêmes toutes compétences nécessaires, et de moins en moins de temps. Et failli plusieurs fois désespérer face aux obstacles. Nous avons longtemps hésité à chercher les moyens pour embaucher. Une sacrée marche à franchir. Une prise de responsabilité pas évidente.
Pas seuls
Finalement, nos accompagnateurs d’Intermade, de Mosaïque, du Dispositif Local d’Accompagnement, du Crédit Agricole, de France Travail et de l’APPASCAM nous ont fait la courte échelle et rassuré(e)s. Alors merci à Cédric, Marianne, Tristan, Angello, Fanny, Jeannine, Mireille et Claire. Merci aussi à Cécile, Maeva et Sylvie de la Fondation de France Méditerranée qui nous ont fait confiance et nous encouragent. Grâce à leur accompagnement technique et financier, nous avons peu à peu donné une armature plus solide à nos missions, les avons précisées, leur avons donné un sens qui tient en un mot : la coopération. Merci également à tous les bénévoles qui, parfois de loin, où qu’ils soient, nous aident et participent au projet, ainsi qu’à tous nos adhérents qui nous font confiance.
Coopération
Comme le dit Edgar Morin, la coopération est une réponse pertinente à la prise en compte de la complexité. Engager tout un territoire à aller vers cette bifurcation est une affaire complexe. Comment savoir si telle ou telle évolution, bénéfique pour certains, ne va pas en pénaliser d’autres, de manière imprévisible ? Pour réduire ce risque -on ne pourra jamais le supprimer- le seul moyen est de faciliter les liens entre tous les acteurs, habitants, institutions, collectivités territoriales, associations, entreprises afin d’éviter le plus possible que certains soient laissés au bord du chemin. Il s’agit de connaître, respecter et prendre en compte les contraintes diverses de chacun et chacune. En définitive, jeter des passerelles plutôt que d’élever des barrières.
Enfin, un immense merci à notre merveilleuse équipe de salarié(e)s, Margaux, Emanuela, Arnaud et Charlotte, nos constucteurs(trices) de passerelles, et longue vie à RLR !
Charles.
Quelques images de la création de Remontons la roya en 2020… jusqu’à l’arrivée des 3 nouveaux salariés en 2024 !