
Quel avenir pour le pastoralisme dans nos montagnes ?
Le 21/01/2025 à Breil-sur-Roya
Avant la projection du film-documentaire Berger.e.s, 5 éleveurs et éleveuses de la Roya sont venus pour échanger avec les habitants de la vallée sur le thème : « Quel avenir pour le pastoralisme dans nos montagnes ? » .
Pourquoi ce sujet ?
Le pastoralisme est une activité traditionnelle d’élevage dite extensive, qui consiste à faire paître le bétail dans les pâturages d’altitude pendant la saison estivale. Elle est confrontée, comme bien d’autres activités de nos montagnes, à des changements que nous pouvons observer depuis le début du 20ème siècle. Aujourd’hui, on parle des Alpes du Sud en transition1 pour désigner ce processus caractérisé par l’émergence de nouvelles activités comme les sports de montagne, le tourisme ou encore la production de l’électricité hydraulique. A ces transitions sur le long terme, s’ajoutent aujourd’hui la réapparition du loup, de nouveaux sports de montagne et surtout la nécessaire adaptation au changement climatique. De nouvelles questions se posent. Face à la bétonisation et la dégradation de la biodiversité, faut-il sanctuariser nos montagnes ? Et quelle sera la place de l’homme dans cette montagne protégée ? Nos berger.e.s. ne sont-ils pas aussi les gardiens de la biodiversité et porteurs d’une culture ancestrale, de la « pastoralité » ?
Les témoignages de nos berger(e)s et le film de Boris Münger nous ont fourni des éléments de réflexion dans une ambiance très agréable et touchante.
Des chiens et des loups
Un premier berger a expliqué que le métier a bien changé, car la présence du loup implique des contraintes importantes. Les bêtes doivent être regroupées le soir pour leur sécurité à proximité des cabanes de bergers, dans des parcs qui souffrent donc de surpâturage et de piétinement. Ensuite, le berger doit dresser, entretenir et s’occuper d’un grand nombre de chiens pour la protection de son troupeau. Ces chiens grandissent au milieu du troupeau, ayant peu de contact avec l’homme pour développer au mieux leur instinct de protection. Cela comporte certains problèmes en cas de rencontre avec des randonneurs qui ne savent pas toujours comment adapter leur comportement (ne pas passer au milieu du troupeau, ranger les bâtons, continuer la marche en restant à distance…). Les loups s’attaquent aussi aux chiens, qui doivent être de plus en plus nombreux et de plus en plus gros pour se protéger. Ce cercle vicieux n’est évidemment pas très favorable à la présence des randonneurs. Un berger précise que lorsqu’un chien se fait tuer, les aides ne le remplacent pas. Ce n’est pas juste un animal, c’est aussi un compagnon de vie, de travail, issu d’une lignée sélectionnée avec soin…
Autre problème, avec l’interdiction du brûlage et l’abandon de l’exploitation forestière en montagne, la forêt reprend ses droits. Ces espaces boisés deviennent difficilement praticables, mais aussi plus dangereux pour les troupeaux parce qu’on ne voit pas les loups approcher. Ainsi, petit à petit, des pâturages disparaissent.
Quelle relève, comment motiver les jeunes à choisir ce métier ?
A l’image des autres filières agricoles, le nombre d’exploitations diminue chaque année. En 10 ans, le nombre d’éleveurs a baissé de 30 %. Certains prennent la relève dans le cadre d’une famille de bergers. Une des bergères remercie le soutien de son père. Car les anciens fournissent dans ce cas une aide précieuse par leur expérience et les coups de mains qui peuvent soulager les nouveaux installés : « mon père me garde le troupeau quand je dois aller à Nice ». Il ne faut pas oublier que c’est un métier qui exige une présence 7/7j avec des très grosses journées. « Prendre une journée en hiver pour passer un moment avec ses enfants coûte 700 euros, c’est le prix du foin qu’il faut donner en compensation du pâturage qui ne peut plus être fait sans surveillance » précise un autre. Mais les berger(e)s. ne veulent pas délaisser leur métier pour autant. « Je suis berger depuis l’âge de 14 ans, je ne me vois pas faire autre chose », témoigne l’un d’eux. Etre berger, c’est aussi une passion, une façon d’être. Vivre pendant des mois à l’écart du monde, exposé à la rudesse du milieu montagnard, n’est pas un métier pour tout le monde.
Cependant, pour motiver les jeunes, ne faudrait-il pas adapter les conditions dans lesquelles s’exerce ce métier au 21esiècle ? Les cabanes des bergers pour l’estive sont souvent dépourvues de tout confort et les réglementations très strictes du Parc ne facilitent pas leur rénovation et rendent la construction de nouvelles cabanes impossible : « J’ai eu des difficultés avec mon jeune berger quand il a vu qu’il n’y avait pas de douche … ».
Pastoralisme, biodiversité et protection des milieux
Certains se demandent si le but de ces règlements n’est pas pour l’ensauvagement de la montagne, c’est-à-dire un espace naturel sans aucune activité humaine. Or, ils expliquent que le pastoralisme a façonné non seulement les paysages, mais aussi la biodiversité depuis des millénaires : « Ceux qui défendent la montagne sauvage (sans activité humaine) aiment s’y promener. Sans les troupeaux, les beaux paysages avec que l’on connait et qui invitent à la randonnée n’existeraient plus…».
La disparition du pastoralisme ne modifierait-elle pas complètement les équilibres existants ? Il serait intéressant de débattre plus longuement sur cette question à laquelle pas mal de chercheurs tentent de répondre avec d’autres acteurs de la montagne et des scientifiques.
La commercialisation de la production
L’abattoir départemental (actuellement fermé) se trouve à Puget-Théniers, et implique de longs trajets. Le temps, le coût, et les outils de transformation et de commercialisation sont également un enjeu important au coeur de ce métier, qui rend difficile la vente en direct car elle se fait au détriment de la présence avec les troupeaux. Pour palier à cela, l’association Les Eleveurs de la Roya a été créée il y a quelques années afin de mutualiser la commercialisation.
Projection de Berger.e.s
Cette première partie s’est terminée autour d’un verre et d’une part de tourte dans la bonne ambiance ! Puis la soirée s’est prolongée avec la projection de Berger.e.s. Ce film-documentaire, réalisé par Boris Münger pour l’édition 2024 de fête de la Brebis Brigasque, suit la journée de deux couples de bergers et bergères de la Vallée de la Roya : Alan et Nina et Céline et Georges, lors de leur estive aux Merveilles et à Castérino. La projection a été suivie du témoignage de son réalisateur, ainsi que d’anecdotes de bergers.
Un grand merci à tous les participants et participantes, à l’association Les Eleveurs de la Roya, aux bergères et bergers de la vallée qui sont venus témoigner : Marina Carletti, Julia Bonnet, Fanny Lanteri, Mickael Vial, Alan Quint ; ainsi que toutes celles et ceux qui pris le temps de discuter avec nous. Un grand merci également à Boris Münger pour la projection de son film.
1 « Les Alpes, un foyer de civilisation » W. Bätzing et H. Rougier, « Les Alpes du Sud », 2024 : Pastoralité … bouée de sauvetage du Pastoralisme, et de notre humanité ? - O. Turquin et M. Mallen
A vous maintenant, vous lirons avec plaisir vos commentaires !
📣 Paroles de la Roya #4
Le prochain thème sera : « Quel développement touristique pour la vallée de la Roya ? »
Rendez-vous mardi 04 mars à 18h à l’A Ca d’Brei !